Alice

"En fait, la musique classique aussi, c’est hyper commercial" : découverte tardive des musiques actuelles

Alice est élève instrumentiste au CRR et en cours d’improvisation libre. Elle a fait des études de musicologie. Ses parents sont musiciens professionnels (classique et jazz). Elle a commencé la musique avec l’éveil musical autour de six ans, puis a commencé le piano à sept ans, avant de choisir un instrument du quatuor à 13 ans : « j’avais envie de jouer avec d’autres gens, parce que le piano, j’étais vraiment toute seule dans mon coin ».


 « J’ai découvert la musique actuelle un peu tard » : formation d’un univers musical propre

Alice commence à développer ses propres goûts et sa propre écoute au delà de la musique écoutée par ses parents à l’adolescence.  Elle découvre la musique actuelle, essentiellement de la pop « vraiment des trucs hyper mainstream », via ses camarades : « ce n’est pas moi qui suis allée vers ça, c’était des gens qui me disaient : viens, écoute ça (…). On écoutait, on regardait des trucs ensemble [sur Youtube]. »

 Elle associe également à cette période l’affirmation de son goût pour le jazz et piano jazz, « des trucs que mon père (…) me faisait découvrir et que je m’appropriais plus que (du) classique ».

Cette évolution dans ses goûts est passée par une réévaluation de la « légitimité » des différents genres musicaux, qui a permis de développer une plus grande curiosité  :

 « je pense que j’avais ce truc de juger la musique pas classique (…) je me disais, ah non, c’est vraiment hyper commercial, c’est nul. En fait, la musique classique aussi, c’est hyper commercial (…). J’aime trop découvrir plein de trucs que je connais pas maintenant »



L’apprentissage instrumental : le répertoire classique comme « base technique » pour l’après

Alice souhaite poursuivre une carrière d’interprète au sein « de formations différentes » avec « des esthétiques différentes ». Elle considère le répertoire classique exploré dans son cursus, bien qu’apprécié, comme « une base technique pour (se) dire qu’(elle) peut faire d’autres choses après. »

Elle aime particulièrement certaines expériences d’orchestre qu’elle a pu avoir en tant qu’étudiante, et une partie du répertoire qu’elle y a travaillé :

« Moi, je kiffe Chostakovitch. Quand on a fait une symphonie de Chostakovitch, c'était il y a deux ans, ici. C'était trop bien. J'aime bien les Russes. En orchestre, j'ai vu Prokofiev aussi (…) C'était trop bien, vraiment. Des expériences de ouf. Après, c'est aussi les chefs qui sont chouettes. »

Elle ne souhaite pourtant pas intégrer un orchestre à la fin de ses études, en partie à cause de la compétitivité dans ce métier, mais aussi pour le travail en lui-même, en raison de la nécessité de travailler énormément de répertoires différents, à un rythme soutenu :

« Je trouve ça trop bien, l'orchestre, mais après, il y a des répertoires que j'aime bien jouer et d'autres répertoires que je n'aime pas jouer. Du coup, je ne me vois pas dans un orchestre permanent non plus. Tu t'enfiles des programmes toutes les semaines et tu es là, au secours. Ça ne m'intéresse pas trop. Et puis en plus, les concours d'orchestre, c'est horrible. Je trouve ça fait un peu peur. Un truc de... Un truc de robot hyper sélectif. »

Diversifier son répertoire de jeu est ainsi une aspiration qui lui est importante.



Habitudes d’écoute : temps d’écoute irréguliers, cadre et contenu stables

 Aujourd’hui, il lui arrive de pas écouter de musique enregistrées pendant plusieurs jours, comme en ce moment de période de concours « parce que le fait d’en jouer, ça me fatigue vachement les oreilles. (…) des fois j’ai envie d’écouter des trucs. Et je me dis que si je le fais, ça va être désagréable ».

Ses envies d’écoute sont souvent liées à ses humeurs. Elle utilise un logiciel client de youtube qui lui permet de constituer ses propres playlists constituées de « chansons isolées » (principalement de la pop et un peu de rock) et classées par humeur ou ambiance, par exemple « dimanche soir » ou encore « chill ».  Il est fréquent qu’elle écoute ces titres en regardant leur clip vidéo.

Elle n’a pas pour habitude d'écouter un album dans son intégralité : 

« J'ai beaucoup de mal à écouter les albums. (.) Après, ça dépend. Des fois, je me dis que j'ai envie de savoir comment c'est en entier. Je crois que ça m'ennuie un peu. (...) Il y a le même truc pendant longtemps. »

C’est en général sur le téléphone et au casque que la musique est écoutée, plutôt à domicile car ses déplacements ont lieu majoritairement à vélo et que le bruit rend l’écoute désagréable dans le métro. Elle ne dispose pas d’enceintes, sans que cela soit vécu comme un manque car elle vit dans une colocation « très calme », où la musique n’est pas écoutée sur enceinte.


 

L’écoute de la musique classique : une aide à l’apprentissage de la partition et au travail d’interprétation

L’écoute de la musique peut être une aide au travail d’interprétation d’une pièce. Dans ce cas, il peut s’agir d’une attention portée sur l’interprétation. Cette étape s’inscrit alors après un premier déchiffrage et travail de la pièce. L’enregistrement sert d’inspiration et de matériau pour explorer et faire des choix d’interprétation, et parfois relever des erreurs « apprises ».

L’enregistrement peut également servir de « partition » pour l’apprentissage d’une pièce, alors travaillée à l’oreille. En effet, pour Alice, dans une pièce « l’endroit de la partition » est associée au « doigt qui joue, sans passer par le nom de la note ou de la hauteur », ce qui rend difficile le déchiffrage lorsque la pièce lui est inconnue. L’enregistrement permet d’ « écouter quand ça ne vient pas dans l’oreille pour le connaître et le prendre [à l’] oreille ». 




 Lachrymae pour alto et piano, op.48, Benjamin Britten :

 « Je cherche du répertoire à jouer en ce moment, du coup je vais sur YouTube 
et je survole un peu les pièces en écoutant les débuts des mouvements pour voir
 à quoi ça ressemble et si ça me semble jouable maintenant. »


Les pièces écoutées dans ce contexte sont classées dans une playlist de « répertoire à travailler » classique, et sont très rarement écoutées en dehors de ce contexte :

 « j’écoute pas trop du classique comme ça (…), c’est trop lié au travail, je crois. Il y a des trucs que j’aime bien. Mais du coup, c’est plus en concert qu’en disque. Parce que j’ai l’impression qu’il y a un truc hyper faux dans l’enregistrement. Tu refais chaque mesure, après tu colles les bouts et au final ça donne ton CD. Moi, je suis plus intéressée par les performances live. En classique aussi, pour voir le concret de comment les gens font (…) certains aspects techniques. »

L’enregistrement sert ici comme support de travail plus que comme un objet d’appréciation, car ici son écoute comporte une exigence de fidélité que l’enregistrement studio ne reproduirait pas.


La musicologie : une formation de l'oreille et une ouverture dans l’écoute et le jeu

 Alice a suivi une licence en musicologie. Elle estime que celle-ci a en quelque sorte conditionné son oreille à une écoute analytique :

« Avec la formation que j’ai, je pense que j'écoute pas comme une personne qui a pas décrypté des trucs. Et je suis toujours à un moment de « Ah, ça, c'est tel instrument. » Enfin, mon cerveau, il est quand même hyper... Enfin, j'écoute pas... Pas passivement. Enfin, ça dépend. Je pense que des fois, j'arrive un peu à déconnecter. Mais en même temps, je reste quand même pas mal dans le mental. » Elle prête alors attention à des éléments de rythmique, d’harmonie ou d’instrumentation, ce qu’elle nomme « des filtres ». 

Elle remarque que cette écoute est cependant moins présente depuis qu’elle a terminé ce cursus.

Il y avait pendant sa licence des exercices d’analyse de musique pop, et c’est à cette période qu’Alice s’est essayé à interpréter au piano des titres du groupe de rock Muse, qu’elle écoutait  beaucoup à ce moment-là. Elle a aussi découvert le funk à cette époque, et en a alors beaucoup écouté.



« Les trucs que j’ai écoutés récemment en mode détente : il y a par exemple Miley Cyrus. 
J’étais aussi un peu à fond sur les nouveautés de Twenty One Pilots (…) 
(j’ai eu une période pendant mes années de fac où je [les] écoutais beaucoup). »  


Le partage de musique

Si l’univers musical d’Alice, comme beaucoup, s’est construit à travers le partage avec des pairs à l’adolescence, ces moments de partage n’existent que rarement aujourd'hui. Alice partage peu de musique, bien qu’elle reçoive souvent des recommandations de la part de sa soeur, également musicienne. La classe d’improvisation est son principal espace de partage au sein du conservatoire. Il peut arriver que des échanges aient lieu avec d’autres élèves au sein de sa formation classique mais il s’agit généralement de recommandations au sujet du répertoire travaillé.

« A. : En impro, je dirais qu'il y a plus de partage (…), de se dire « Ah, j'ai écouté ça, c'est cool, allez voir ça, c'est intéressant » et tout. Mais avec les classiqueux, ça fait pas trop ça
E. : Vous échangez pas de répertoire même pour dire « Ah, tel truc, c'était cool à jouer » ?
A. : Si, je pense qu'il y a un peu ça (…),  « Ah, on a joué ça, va l'écouter, c'est trop bien ». Mais en dehors de ça, ça peut arriver je pense, mais c'est pas hyper fréquent. »


Le concert : une recherche d’authenticité

C’est en concert que Alice apprécie davantage écouter de la musique classique, en général à la Philharmonie (cinq ou six fois par an) et toujours pour du répertoire classique. Elle choisit les concerts en fonction d’abord des orchestres ou chefs programmés et ensuite du répertoire, ou bien parce que des ami·es y vont, mais elle s’y rend souvent seule. Elle a également déjà assisté à quelques concert de piano solo au théâtre des Champs-Elysées.

« Je vais pas trop voir d'autres concerts. Ou alors (…) au conservatoire. Ou des scènes ouvertes. Ou des trucs d’impro. Mais pas beaucoup. »

Les concerts ne sont pas précédés d’écoute en lien avec le concert, et il lui arrive même d’entrer dans la salle de concert sans se souvenir du programme. En revanche, si un concert lui a vraiment plu, elle peut chercher à retrouver l’interprétation du chef ou de l’orchestre, pour retrouver l’émotion du concert.

Pendant le concert, elle alterne entre écoute yeux ouverts et yeux fermés :

« quand je regarde, c'est plus (…) une écoute analytique, où je vois d'où viennent les sons, qu'est-ce qui est mis en valeur et tout. (..) Ce qui m'empêche un peu de recevoir tout en même temps. Quand je regarde, en fait je regarde beaucoup, et du coup des fois j'écoute moins que je regarde. Après des fois je ferme les yeux et (…) puis du coup tu te laisses envelopper »

 Contrairement au « faux » du CD, le live permet de « voir le concret de comment les gens font » ce qui peut « donner des idées » pour son propre jeu. Cela implique de pouvoir observer la posture : « en orchestre, je détaille trop les gens. Je suis là genre, celui-là il se tient comme ça, lui il a l'air plus comme ça » et entendre « comment ça sonne » :

« E. : Ça veut dire quoi pour toi comment ça sonne ?
   A. : Bah les qualités de son. Je sais pas …Si j'aime bien. Si c'est dur, si c'est ouvert, si ça résonne. »

Ici, le concert donne à voir et entendre une musique et son jugé plus authentiques que ceux d’un enregistrement. La performance live est ainsi préférée à l’écoute d’un enregistrement, car perçue comme plus « vraie ».

Pour autant, elle questionne ce qu’elle nomme l’aspect « monolithique » de ces lieux d’écoute qui sont perçus comme l’incarnation d’une musique très institutionnalisée :

 « J'y vais parce que c'est là, mais je sais pas. Il y a un peu ce truc de... À chaque fois que j'y vais, je dis me ouais, enfin...  Il y a un espèce de truc monolithique en mode ça c'est la musique classique, la vraie et tout. On va l'amener aux autres gens. Enfin, il y a toute une politique trop bizarre que j'aime pas du tout dans ces institutions. Et du coup, je suis pas particulièrement attachée aux salles. »

CE SITE A ÉTÉ CONSTRUIT EN UTILISANT