Se "former l'oreille" à travers l'écoute
Noé a une formation de chant lyrique, elle s’est formée à la MAO et aux techniques du son. Elle mélange plusieurs pratiques dans son travail de composition.
Il existe une pratique de la musique en amateur importante dans sa famille, y compris chez ses parents, qui sont passé·es par un apprentissage en conservatoire : « côté maternel c'était plutôt classique, et côté paternel plus jazz, pop, donc j'avais vraiment les deux choses qui étaient un peu en conflit, mais du coup que j'ai fini par réunir après. »
Noé ne prête pas d’attention aux classifications de genre lorsqu’elle commence à écouter de la musique en tant qu’enfant :
« le Sacre du Printemps. Les 4 saisons. (…) The Police, le Megafunk, Dutronc. En fait il y avait un peu différents styles. (…) Puis tous un peu indifférenciés (… ).Vivaldi autant que Dutronc, c'était pareil.»
Cela se poursuit lorsqu’elle commence à explorer davantage de manière autonome le répertoire classique de la discothèque familial en écho à sa pratique de chanteuse, jusqu’à ce qu’elle commence à se construire un paysage musical propre à travers d’autres genres musicaux à l’adolescence.
Elle fait partie de la maîtrise de ses 10 à 15 ans, qui est aussi alors un lieu de partage de musique entre pairs, tant de répertoire classique que d’autres styles.
« y'avait pas mal de gens à la Maîtrise qui étaient comme ça, qui adoraient [le répertoire travaillé] et on en parlait. (.) Enfin on aimait bien les pièces qu'on chantait, on aimait bien les écouter et tout ça. Et puis y'en avait qui écoutaient à côté du métal, de la pop … du Rap, on se partageait quand même un peu tout. Là où c'était séparé c'était au niveau des profs où là par exemple on parlait pas de... Dans notre répertoire forcément tu vois ou… (…) Enfin en tout cas je pense qu'on pensait qu'il y avait un jugement négatif pour la pop »
On peut observer que parmi toutes les personnes interrogées ayant suivi un cursus d’apprentissage musical classique en conservatoire, il n’y a que dans le cas de Noé que cet espace a pu servir de lieu de partage de contenu musical entre pairs, notamment à l’adolescence. On peut imaginer que le fait que le choeur soit une pratique collective entraîne la création de liens forts qui peuvent faciliter des discussions autour de la musique, d’autant plus à l’adolescence.
Cependant, la musique qui y est échangée, dès lors qu’elle ne correspond pas au répertoire chanté, est considérée comme « profane », un cloisonnement s’observe entre différents répertoires :
« [J’écoutais] différents trucs classiques. Il y avait toujours une partie répertoire qui était plus ou moins liée à ma pratique. Après y'a un moment où ça s'est séparé je pense. Entre ce qui était plus lié à la pratique, à la maîtrise, au conservatoire et tout. Et ce qui était plus caché et un peu profane tu vois. Du genre la dubstep, la pop. »
Bien que Noé dise écouter moins de musique « depuis un ou deux ans », elle distingue néanmoins plusieurs types d’écoute selon le contexte ou le contenu écouté, avec néanmoins certaines porosités.
Noé considère que son univers musical actuel s’est construit autour de plusieurs genres, notamment le punk, mais aussi autour d’artistes aux frontières entre plusieurs genres comme Kraftwerk (qui sont considéré comme les pionniers de la musique électronique), Can, PJ Harvey ou Public Image. La pop y occupe également une place importante.
Elle parle d’abord d’une écoute de « consommation », qui peut inclure tous types de genres musicaux :
« C'est pas grave s'il n'y a pas les conditions genre bonne écoute, ou d’écoute tout court ! Ça peut être dans la douche et le bruit de douche couvre complètement la musique. Mais c'est plus l'idée d'être dans un truc connu. J'écoute toujours les mêmes morceaux dans le même ordre. Vraiment le principe de playlist et le système de la récompense basique. J'ai la flemme de faire un truc, je mets cette playlist et je le fais. »
« en ce moment j’écoute Depeche Mode, comme Walking In My Shoes
parce qu’il y a une grosse énergie, quand je dois faire la vaisselle par exemple »
Comme les autres élèves de la classe de techniques du son, Noé dit désormais prêter davantage attention à l’aspect production de la musique qu’elle écoute. Cela concerne notamment l’usage du studio comme outil de création dans la pop mais qu’elle reconnaît aussi dans la musique classique depuis sa formation en techniques du son : « plus ça va plus je m'aperçois qu’en fait ça existe aussi dans le classique ».
Elle mentionne aussi une écoute « formative », plus attentive aux questions de production, notamment dans la pop. Bien qu’elle identifie ce genre comme plus éloigné de sa propre pratique, il occupe une place importante dans son écoute aujourd’hui, par appétence mais aussi en raison de l’intérêt qu’elle porte au travail de studio :
« moi j'appelle ça la pop mais … Je pense que c'est un peu tout ce qui s'est passé après la révolution du studio d'enregistrement. À partir des Beatles... Enfin tout ce qui utilise le studio comme un instrument. »
« j'aime bien écouter ça juste pour le plaisir. Et puis même je me dis que j'ai l'impression de me former l'oreille tu vois un peu en écoutant ça parce que c'est un peu des modèles de mixage, de production et tout. Il y a vraiment un savoir-faire où j'ai l'impression de me former l’oreille. »
« L'époque PJ Harvey tout ça, ça faisait écho à ma pratique électro-acoustique ... Captation de quelque chose alors que dans cette pop là il y a quand même... plus de dimension de création … avec le studio quoi. »
Noé cherche dans son écoute à repérer ce qui fait l’identité d’une musique et sa cohérence à travers divers aspects :
« C'est pas tellement la production en tant que telle. Enfin c'est comment tous les outils créatifs … je parlais du coup de l'aspect plutôt du son mais sinon il y a aussi les instruments qui sont choisis ... Les voix, la forme ... Les textes parfois. Ouais enfin et puis l’atmosphère générale ... Enfin le fait qu'il y a un espèce de tout … Qui fasse des morceaux un peu ... uniques quoi »
Ses choix d’écoute sont souvent expliqués par des appétences pour des « couleurs » particulières, qui sont souvent celles des voix, mais qui peuvent aussi désigner l’équilibre spectral ou encore les textures.
« [Dans PJ Harvey] il y a vraiment tout. Enfin c'est hyper bien produit, équilibré. Enfin toutes les couleurs sont belles genre les graves sont beaux, les aigus sont beaux. Tu sens que les sons ils ont été travaillés, qu'il y a des textures. Enfin qu'elle a cherché un son quoi. (…) il y a eu du travail, de la recherche et du coup t'as tout de suite un imaginaire qui vient. »
C’est donc une attention plus globale qui est portée à la musique, qui peut inspirer tant son travail de postproduction que la composition en elle-même.
« J’écoute souvent [PJ Harvey] au travail parce que c’est de la super musique
et que j'ai pas honte d’écouter ça à côté des collègues, contrairement à d’autres musiques plus bizarres »
L’écoute se fait en général via YouTube. Noé n’a pas d’abonnement à une plateforme, en partie pour des raisons financières mais aussi pour éviter d’être face à une masse de contenu trop importante et perdre le sentiment de l’« unité » que constitue l’album.
Elle utilise également Bandcamp, une plateforme de streaming et vente de musique d’artistes indépendants « où il y a des choses plus inconnues ». Elle oriente son écoute sur ce site via les fonctions de recherche par style que celui-ci propose mais aussi en continuité de recherches préalables menées sur Discogs, site qui héberge une base de données et répertoire d’enregistrements audios très variés, ainsi qu’une plateforme de vente d’enregistrements sur supports physiques
« E.: À la base quand tu vas sur Discogs c'est pour faire quoi ? (.)
J. : (…) pour chiner des disques. Et après du coup ouais je tombe sur des artistes (…) inconnus sur Discogs. Mais du coup qui ont été publiés en support physique ou qui ont déjà un peu (…) un dossier (…). Et puis c'est souvent des choses plus ou moins récentes mais plutôt vieilles. Et donc après je vais chercher ça sur Bandcamp. »
Noé a en effet également une pratique de DJing. Ces recherches de « nouvelles » musiques ont donc aussi lieu dans l’optique de trouver du matériau pour ses mix. On peut donc considérer cette écoute comme une écoute exploratoire. Lorsqu’elle effectue de telles recherches, il s’agit d’avantage d’un travail de repérage, qui consiste à écouter des échantillons de différentes musiques pour constituer une liste de présélection destinée à une écoute plus attentive ultérieure.
Noé attache donc une certaine importance au format de l’album, à la fois comme format d’écoute mais aussi comme support physique.
Noé écoute donc de la musique principalement chez elle. Elle ne dispose pas d’enceintes et c’est principalement un casque qu’elle utilise, sur son ordinateur. Mais elle utilise aussi parfois le haut parleur de son téléphone, par exemple s’il s’agit de ce qu’elle considère une écoute de « consommation », qui accompagne un geste de la vie quotidienne.
Elle ne dispose pas d’enceintes faute d’espace, ce qui a des conséquences à la fois sur le temps et la qualité d’écoute : « Avant quand j'avais plus de place j'avais vraiment des bonnes enceintes et … du coup je pouvais plus passer du temps à écouter »
« J’écoute en ce moment des pièces contemporaines comme les chants de l’âme d’Olivier Greif, avec de la voix, pour un plaisir plus complexe de musique contemporaine et aussi pour me donner des inspirations de morceaux à chanter »